Depuis les années 80 on assiste en France (encore une exception française) à une étrange compétition entre l’appareil de formation post-scolaire que certains prétendent aiguillonnés par les lois du marché et de la concurrence et les processus informels d’acquisition de savoirs et de développement des compétences dont le moins qu’on puisse dire c’est qu’ils échappent à l’économie marchande.
Entre les cris d’orfraies des courants idéologiques qui s’inquiètent d’une marchandisation des savoirs et le miroir aux alouettes des tenants d’un marché de la formation en expansion permanente la véritable dynamique de diffusion des savoirs se situe résolument en dehors de toute régulation institutionnelle. Or le système de formation professionnelle continue est caractérisé par une concentration institutionnelle hors du commun qui ne contribue guère à une prise de conscience sur ce qui se joue dans la société réelle. Cet aveuglement ne tient qu’à la faveur des 10 millions d’usagers des dispositifs de formation financés à 90 % sur les prélèvements obligatoires (impôts, taxes diverses) et donnant l’illusion de la gratuité du service rendu. Gratuité qui, bien évidemment, dédouane de toute évaluation de la valeur ajoutée du dit service… Voilà donc une activité de services gratuits qu’on voudrait rattacher aux lois de concurrence alors même qu’elle se trouve noyée dans un océan de processus informels de formation que personne n’aurait l’idée de monétiser ou de rentabiliser.
Cette situation nous rappelle simplement que l’échange et la transmission des savoirs est une fonction sociale de base dans une communauté adulte et que nulle logique organisée ne peut s’y substituer. Pour autant, et c’est le véritable enjeu, les inégalités sociales, culturelles, éducatives et professionnelles qui font obstacles au principe démocratique génèrent de nombreuses disparités quant à la participation aux processus informels d’acquisition des savoirs durant la vie active. C’est ce constat qui a animé et entretenu des démarches de formation et d’éducation en direction des populations qui tiraient le moins partie de ces processus initialement développés dans les catégories sociales supérieures, les professions organisées, les communautés professionnelles à forte identité ou, tout simplement, les groupes sociaux attachés à des cohésions fortes.
C’est l’isolement social, la parcellisation et la déqualification du travail mais aussi l’affaiblissement des identités collectives et des cultures professionnelles qui ont favorisé l’émergence de formes organisées er instituées de la transmission des savoirs. L’externalisation par l’entreprise (notamment les plus grandes) des fonctions formatives a accentué cette tendance qui a pu momentanément créer l’illusion de l’émergence d’un service public de la formation ou d’un secteur d’activité à part entière. Ces deux alternatives ont procédé du même constat et de la même méprise : celle d’une éducation nationale tout au long de la vie pour les uns, celle d’un univers des savoirs commercialement viable pour les autres… En réalité ce qui se jouait c’était l’affaiblissement de la formation professionnelle comme espace critique au sein du système de production…